Retour sur Boréal 2025

L’édition 2025 du congrès Boréal s’est déroulée du 19 au 21 septembre, au CEGEP Bois-de-Boulogne. Pour moi, le congrès est incontournable; je ne crois pas en avoir manqué un seul depuis 1986. Ça va donc faire quarante ans que j’y vais; quarante ans que j’y retrouve des visages familiers; quarante ans qu’il s’y passe des choses merveilleuses, et d’autres un peu moins.

Boréal n’a jamais été parfait, parce qu’il est organisé et administré par des êtres humains faillibles, qu’il roule sur un budget ridiculement maigre, qu’il dépend de l’énergie de personnes qui doivent trouver le temps de s’occuper du congrès en marge de leur emploi et de leur vie quotidienne. C’est presque un miracle que ça ait lieu, à chaque année. Aussi, je n’ai pas envie de chialer sur les défauts du congrès; pas en public, en tout cas. À la base, si j’y reviens chaque année, c’est parce que j’aime profondément Boréal et que j’apprécie y participer.

Mais cette année, il y a eu un gros problème avec les prix Boréal, ainsi que certains détails pénibles, lesquels me paraissent des aspects du phénomène qui est à la racine de nos ennuis avec le prix, alors là je vais bitcher.

Généralement parlant, avec le temps, il y a de plus en plus de monde qui sont affectés par le congrès Boréal, mais qui ne comprennent juste pas. Qui ne savent pas ce que c’est qu’un congrès. Ce que c’est que le congrès Boréal. Ce que sont les prix Boréal et comment ils fonctionnent. Je ne dis pas que ce monde-là font exprès de ne pas comprendre. Oui, c’est tentant pour moi de leur jeter la pierre, mais ce serait leur faire un procès d’intention. Je veux simplement constater ce qui se passe.

Un premier exemple: il y a du monde cette année qui sont débarqués à l’accueil le vendredi soir et qui étaient offusqués d’avoir à payer leur entrée, puisqu’après tout, ils étaient les parents de l’autrice qui faisait un lancement. Ils n’avaient pas compris que ce n’était pas un lancement, c’était un congrès; que le lancement n’était pas l’événement central de la soirée, mais faisait simplement partie de la cérémonie d’ouverture du congrès. Apparemment, ni leur fille ni sa maison d’édition ne les avaient informés de la situation. Peut-être bien que ni l’autrice ni sa maison d’édition n’avaient compris, pour leur part, que non, Boréal n’allait pas laisser entrer le monde sans payer pour assister au lancement; auquel cas je suppose que c’est l’administration du congrès qui n’a pas mis les choses au point.

Je ne cherche pas à placer le blâme ici; mais je constate que ça fait d’emblée plusieurs personnes qui ne comprennent pas comment les choses sont censées se produire; qui supposent plein d’affaires sans jamais les confirmer et qui déchantent quand elles sont confrontées à la réalité. C’est gênant pour tout le monde.

Deuxième exemple: j’ai vu plus d’une fois cet automne des auteurices affirmer sur Facebook «je suis nominé.e pour le Prix Boréal cette année».

Sauf que c’était pas vrai.

Ces gens-là étaient sur la
liste d’éligibilité publiée sur le site du congrès Boréal, laquelle est censée contenir toutes les œuvres de SFFQ publiées dans l’année. Apparemment, ça non plus, ce n’est pas clair pour tout le monde même si c’est écrit en toutes lettres sur la page web.

Je comprends que d’écrire «ma nouvelle est éligible cette année, comme 135 autres, puisque c’était de la SFF», ça sonne moins bien que «ma nouvelle est nominée pour le prix Boréal». Et puis, à notre époque, l’auto-promotion étant devenue essentielle, qui va s’offusquer d’une petite enflure verbale? Qu’y a-t-il de si grave à confondre «éligible» et «finaliste»?

L’autrice Sabrina Blanchard a écrit sur sa page FB, le 21 septembre: «En cette belle journée de la cérémonie de la remise des prix littéraires Aurora-Boréale
[sic], je suis nominée dans la catégorie Meilleure œuvre connexe et dans Meilleure nouvelle pour 5 de mes contes sur 7 (parce que les prix sont remis pour les genres fantastiques, fantasy et science-fiction et que mes deux derniers contes n'entrent pas dans ces genres littéraires).»

Le recueil de Sabrina,
Un monde pas si imaginaire, publié aux Éditions de l’Apothéose, figure en effet sur la liste des finalistes que le congrès Boréal a envoyée par courriel la veille du congrès, le 18 septembre. Mais aucune de ses nouvelles ne s’y retrouve. J’ai donc l’impression que Sabrina n’a jamais pris conscience de la liste des finalistes, puisqu’elle croyait encore dur comme fer le matin du 21 qu’elle pouvait gagner dans la catégorie meilleure nouvelle. Si Sabrina était venue à la remise des prix, elle aurait dû casquer $60 pour se faire humilier, comme c’est arrivé à au moins deux personnes qui ont retonti à l’accueil dimanche parce qu’on les avait informées qu’elles étaient finalistes. Notez que je ne sais pas de qui il s’agit, et que je ne sais donc pas si elles étaient des nouvellistes ayant publié dans l’antho Échos de l’Imaginaire ou bien des auteurices de Lux & Nox.

Ce qui par une transition plus balourde qu’habile nous amène au point central de ce billet: le gâchis des nominations aux prix Boréal de cette année. Je n’étais pas le seul à avoir bondi en prenant connaissance des finalistes; c’est moi qui ai pris la parole lors de l’assemblée générale le dimanche matin pour affirmer que les résultats étaient aberrants. J’ai déclaré que j’avais voté «pas de prix» pour les catégories roman et nouvelle, et j’ai même rajouté que j’allais boycotter la remise des prix (oui, j’ai fait ma diva: j’étais en maudit).

Pourquoi ai-je utilisé cet adjectif? Parce que la distribution des finalistes ne reflétait pas le fonctionnement que le prix Boréal est censé avoir. À l’étape de la nomination, on veut que les lecteurices proposent une à trois œuvres qu’ielles jugent dignes de gagner le Boréal, afin que quand on accumule toutes les mises en nomination, les œuvres les plus appréciées se démarquent. Après quoi il y aura vote lors du congrès sur ces cinq ou six finalistes, dans chaque catégorie. Ce système est évidemment imparfait; mais il fournit un reflet approximatif du consensus des membres du milieu de la SFFQ sur la production de l’année.

Sauf que, depuis toujours, il y a eu du monde qui n’avaient pas la même conception de comment devraient fonctionner les nominations. Il y a eu bien des cas où un groupe de personnes faisaient toutes la même mise en nomination, pour une seule œuvre. Ce qui n’est pas interdit, mais qui ne va pas dans le sens de ce que je décris plus haut. Feu Joël Champetier a d’ailleurs déjà remarqué qu’il y a des gens qui ne peuvent carrément pas concevoir que les nominations pour un prix puissent être autre chose qu’un concours de popularité, et qu’il est parfaitement stérile d’argumenter avec eux. Encore une fois: je ne dis pas qu’ils ont tort de penser comme ça; je ne les traite pas de tricheurs. Je constate qu’il y a un profond conflit entre deux façons d’aborder les prix.

D’où nos problèmes avec les finalistes. Dans la catégorie meilleure nouvelle, 60% des finalistes de 2025 proviennent d’une même anthologie caritative intitulée
Échos de l’imaginaire dont, à ce que je sache, personne à Boréal sauf Claude Janelle n’avait même entendu parler. (J’aimerais bien d’ailleurs me faire une opinion sur la valeur de cette antho, mais ça m’est impossible parce que je ne peux pas l’acheter: elle a été en vente pendant seulement trente jours ce printemps — une stratégie commerciale que je trouve proprement ahurissante.) Si j’essaie d’interpréter la liste des finalistes comme un consensus, elle affirme que ces trois nouvelles, écrites par des auteurs dont deux n’avaient jamais rien publié, et que personne à Boréal n’a pu lire, sont meilleures que 96% de tout ce qui s’est publié comme nouvelles en SFFQ en 2025. Meilleures que l’entière production de Solaris et de Brins d’Éternité, donc. Meilleures en particulier que les nouvelles signées par des auteurices avec trente, quarante, cinquante ans de métier publiées dans le numéro 231 de Solaris (oui, ça m’inclut moi; vous pouvez croire que je suis blessé dans mon orgueil si ça vous chante).

Cette interprétation ne fonctionne pas à mon avis. Par contre, si on considère que les nominations pour le prix Boréal ont été un concours de popularité sur les réseaux sociaux, ça a du sens. C’est tout à fait raisonnable de penser qu’il y a toute une gang de personnes qui étaient sincèrement (j’insiste: sincèrement) enthousiastes par rapport à
Échos de l’imaginaire, et qui ont fait valoir leur opinion — ce qu’elles avaient le droit de faire. Mais en votant en masse pour les textes de l’antho, elles ont presque complètement enterré les mises en nomination qui avaient été faites par des lecteurices du milieu. N’a surnagé que «Bercer les voûtes» d’Ariane Gélinas — qui a d’ailleurs reçu le prix.

Mais donc, pour la seconde année de suite, on a demandé aux votants du prix Boréal, lors du congrès, d’entériner des finalistes choisis par des gens qui ne font pas partie du milieu de la SFFQ et qui ne jouent pas selon les mêmes règles. Et ça, ça ne peut pas fonctionner.

Le congrès a réagi: il va y avoir des changements pour les prix Boréal dès l’an prochain. Je pense qu’il est clair que de laisser les nominations gratuites et ouvertes via le web à la planète entière encourage l’aspect «concours de popularité»; et que la majorité de notre communauté ne veut pas que les prix Boréal deviennent un tel concours. Le communiqué du congrès à ce sujet indique bien qu’il y aura consultation publique sur les stratégies à adopter; et il précise aussi, ce qui est très important, qu’il ne s’agit en aucun cas de blâmer qui que ce soit d’avoir mis en nomination des œuvres qui lui étaient chères. Il ne doit aucunement s’agir d’un règlement de comptes, mais d’une remise au point.

Ça n’empêche pas qu’il y a eu des retombées négatives sur le coup. À la fin du congrès, je n’assistais pas à la remise des prix, puisque je boudais juste en-dehors de la salle. Dans la catégorie Meilleur roman, «pas de prix» a été le choix des deux tiers des votants et la catégorie a donc été annulée. Je sais que Julie Desjardins, dont
Le Fléau d’Angarie figurait parmi les finalistes, était effondrée. Je crois comprendre qu’elle a interprété le résultat comme un rejet de la part de tout le milieu. Ce qui me fait beaucoup de peine parce que je l’avais trouvée très sympathique sur ses panels et que j’aurais aimé lui parler, vu que j’ai une formation en maths moi aussi. Ça n’a pas adonné, et maintenant j’ai peur qu’elle ne revienne plus à Boréal, ce qui serait une perte pour tout le monde.

Je crois comprendre aussi qu’il y a eu d’autres problèmes avec des gens de Lux & Nox, mais là mes informations sont vraiment trop fragmentaires; je ne voudrais pas dire de faussetés. Quoi qu’il en soit, on en revient au même problème: on ne se comprend pas. Il y a des gens qui font des nominations pour le prix Boréal mais qui ne sont jamais allés à Boréal et qui pensent voter pour donner la victoire à un.e auteurice alors qu’ielle n’est même pas nominé.e. Il y a eu des gens au congrès qui se sont mis en crisse parce qu’ils ne savaient pas ce que c’est qu’une table ronde et qu’ils croyaient qu’ils allaient pouvoir monologuer pour se vendre pendant une heure. Et je crains qu’il y ait des gens qui vont se croire rejetés, individuellement ou collectivement, par un fandom insulaire et hostile, quand on ne voit simplement pas les choses de la même façon, et qu’on n’est pas foutus de communiquer. C’est navrant.